Mascara waterproof

Bonjour à tous,

J’ai acheté un superbe mascara violet. Oui violet. Le souci est qu’il est waterproof et que tout ce que j’ai chez moi c’est un démaquillant pour yeux sensibles. Je m’en suis pleinement rendue compte un peu plus tôt. De toute façon cet épisode malheureux ne fait que clore une journée pourrie.

En plus la robe que je veux mettre demain est sale. Pourrie je vous dis !

« Tu en as plus d’une dizaine d’autres. », me dit Roéchel.

Ce n’est pas le propos.

« Dont une quasiment similaire. »

C’est ton point de vue.

« Respire. Apprends de tes déconvenues. Et sache faire la part des choses. Tu as été bouleversée par le cas de ces clients qui ont déposé un dossier au surendettement. »

M.et Mme G. étaient mariés. Ils ont souscrits plusieurs prêts ayant pour garantie la maison qu’ils ont fait construire. Ils ont divorcé avant d’avoir pu rembourser la totalité des prêts. Mme a accepter de renoncer à ses droits sur la propriété moyennant finances. Mais M. a longtemps peiné à assumer le remboursement des prêts. Alors une première fois il a déposé un dossier. La Banque de France (BDF) lui a demandé de vendre la maison. Il a refusé et renoncé au surendettement.

Le temps a passé, il s’est remarié. Néanmoins sa nouvelle épouse et lui ne parviennent toujours pas à faire face aux 1100 € de remboursement mensuel. Ils ont eu un enfant ensemble. M. a sollicité l’agence et demandé que soient revus les conditions de son prêt. Il a également demandé un rachat de crédit, proposant au passage que sa nouvelle épouse s’engage avec lui. Suite à un refus non motivé, il a redéposé un dossier à la BDF. Qui a été accepté et cette fois, la BDF lui a proposé ce qu’il voulait depuis le départ, un nouvel étalement des dettes à un taux plus intéressant pour lui. J’avais accepté ce plan. Néanmoins, j’avais également noté que M. n’avait pas souscrit les prêts tout seul. J’ai envoyé un courrier à sa première épouse, afin de lui rappeler ses engagements. Pas de réponse, j’en ai envoyé un second, une première mise en demeure. La nouvelle épouse m’a téléphoné. Elle est surprise que l’ex leur soit tombée dessus. Elle me parle de l’accord financier pris au moment du divorce. Elle m’envoie un document notarié. Je le lis et noir sur blanc j’ai ce dont j’ai besoin. Il est clairement précisé que l’accord en question ne saurait libérer Mme de ses engagements envers la banque. Quand bien même elle n’a plus aucun droit sur la maison.

Je viens de lui adresser un troisième courrier, auquel je joins copie dudit document, en ayant pris soin de surligner le passage intéressant. Entre temps, M. et la nouvelle épouse ont annoncé à la BDF qu’ils attendent un heureux évènement. Ceci remet en question le plan de remboursement que j’avais accepté. J’ai eu la BDF, on me dit que c’est un moratoire de 24 mois qui sera proposé. Autrement dit M. n’aura plus à rembourser ses prêts pendant deux ans.

Le jour où je reçois l’homologation de cette mesure, je prononce la déchéance du terme de l’ensemble des prêts et je mets en demeure la première épouse de nous rembourser les 90k € qui seront alors dûs. Bien entendu elle refusera de payer.  Ce qui ne me laissera pas d’autre choix que de confier le dossier à un huissier pour qu’il opère une saisie sur son salaire. Légalement, c’est le mieux à faire si elle ne paye pas de son plein gré.

Mais personnellement, j’avoue que je comprendrais très bien qu’elle pète un câble en voyant ce qui lui tombe dessus. A sa place je maudirais mon ex-mari, la nouvelle épouse et surtout la banque. 

Elle a renoncé à ses droits sur la maison, contre le versement de la somme ridicule de 11k€ ce que je ne m’explique pas au regard de la valeur du bien, mais elle doit quand même payer puisqu’elle a signé les contrats.

J’imagine la discussion suite à laquelle la nouvelle épouse a choisi de nous appeler. J’imagine aussi celle qui va suivre quand la première épouse va recevoir le courrier que je lui ai rédigé aujourd’hui.

Tellement de personnes pensent que le fait de divorcer libère des obligations contractuelles conjointes. Mais un cas comme celui-ci, j’avoue que je n’avais pas encore vu. Si cette idiote n’avait pas renoncé à ses droits sur la maison, il y a longtemps qu’elle aurait pu demander la vente du bien et se libérer de cette dette. Qu’est-ce que c’est que cette façon stupide de liquider les biens de la communauté ?

Et soudain je me souviens des conseils de mes profs de droit civil, si vous vous mariez, faîtes le sous le régime de la séparation des biens. Et au moment de dissoudre la communauté, il faut vendre !

Encore une chose, pourquoi est-ce la nouvelle épouse qui a téléphoné ? C’était trop difficile pour le gars ? 

Au fond ce n’est pas mon souci. Moi je dois juste faire mon boulot. Et mon boulot c’est de faire en sorte qu’on soit payé.

« Imagine que la première épouse vienne te voir ? »

Je la reçois. Je reçois tous les clients qui demandent à me voir. 

« Et si elle est énervée ? »

Je la reçois avec mon chef si elle arrive énervée. Car à l’accueil on me dira qu’il y a un problème.

« D’une manière générale en vérité tu es davantage intéressée par tes tenues du jour que par ton travail. C’est pour cette raison que tu as besoin de nouveaux vêtements. Le contentieux c’est difficile. Quand ce n’est pas linéaire, et ça l’est peu, il y a de véritables drames humains qui se jouent. C’est pour cette raison que tu as besoin de shopping, pour ne pas penser à ces drames. Le surendettement te renvoie à la même chose. La raison pour laquelle ce métier ne te convient pas est que tu es trop sensible. Donc pour supporter tu te blindes et cela te conduit à avoir d’énormes difficultés à t’investir comme tu le voudrais. Tu n’arrives pas à lire les contrats, à te concentrer quand tu dois répondre à la BDF ou transmettre un dossier à l’avocat et cela te conduit à faire d’énormes efforts qui t’épuisent.

Mais le droit en réalité, c’est souvent l’univers des drames quand il n’est pas simplement question de biens matériels. C’est pour cette raison que tu as pu obtenir un diplôme en droit des affaires, petite fille. Seulement il aurait fallu que tu continues dans une branche ou l’humain passe au second plan. Ce n’est pas le cas du contentieux qui te place devant les difficultés des uns et des autres.  

Cette dame n’a pas 90k €. Elle ne pourra pas te payer. C’est une histoire qui pourrait très bien très mal se finir. Pour les protagonistes impliqués. Pas pour la banque. Vous avez toutes les cartes qu’il faut en main. »

Il faut vendre la maison. C’est ce qu’ils auraient dû faire au moment du divorce.

« Entends ce que je vais te dire, ce n’est pas ton souci. Ce n’est pas à toi de te préoccuper de cela. Vis ta vie. »

Je sais, merci à toi.

Bonne journée à tous